C’était donc ça la mort… Souffrance, douleur, paralysie. Décidément, j’étais bien déçue. J’ai toujours pensé que la mort, c’était une sorte de trou noir. Je n’ai jamais cru à la vie après la mort, à la résurrection de l’âme ou à la réincarnation. Pour moi quand on était mort, on était mort : point final. Pas de paradis, pas de petits angelots, pas d’enfer non plus et de fournaise qui aurait grillé mes os pendant toute l’éternité. Non … pour moi la mort, c’était la fin de tout et une fin apaisante et bien méritée. Juste un corps qui se décompose pour ne laisser que des cendres. La paix éternelle.
Bon forcément, c’était sans compter sur le fait que les vampires existent vraiment. Indubitablement, ça remettait pas mal de théories en cause. En attendant, j’avais mal. Très mal. Impossible de faire un mouvement. Normal, si on suivait ma logique : morte = plus de corps, plus de corps = pas moyen de bouger … oui mais dans ce cas là, plus de corps aurait dû être synonyme d’absence de douleur… et je souffrais terriblement.
Peut-être que c’était mon âme qui souffrait. Peut-être que j’étais en train de payer pour mes péchés. Pour avoir succomber au charme d’Adam, pour avoir couché avec lui.
Sauf que je ne croyais pas en Dieu… alors le péché… tout ça, pour moi, c’était des foutaises. Finalement, j’étais sûrement bel et bien vivante … il suffisait de vérifier.
Essayer d’ouvrir un œil. [Concentre-toi Eve, ouvre un œil !!!!] Alors que je tentais de faire cet effort, la douleur qui me perfora la tête fit monter en moi la nausée. [Doucement… respire calmement Eve, essaie de bouger un doigt de pied pour voir]. Pas de douleur. Juste la sensation que mon pied se trouvait bien au bout de ma jambe. Je tentais à nouveau d’ouvrir les yeux. Tout doucement, mes paupières s’entrouvrirent. Redoutant l’éclair de douleur qui m’avait transpercé le crâne, je respirais profondément.
Désormais, j’ai les yeux grands ouverts, mais je vois trouble. Ma vue n’arrive pas à se fixer sur ce que je vois. Il fait trop jour. La lumière est aveuglante. Finalement, je suis peut être au paradis. Ou alors, suis-je peut-être à l’entrée de ce long tunnel lumineux que ceux qui ont fait l’expérience d’une mort imminente, ont aperçu avant de revenir à la vie. Je cligne des yeux, ma vue s’accommode un peu mieux. Je fixe … un plafond. Un plafond parfaitement blanc. Je ne suis pas au paradis … je suis dans une chambre d’hôtel, allongée sur un lit.
Décidément, ça devient un peu trop une habitude de me retrouver dans un lit qui n’est pas le mien, dans un endroit qui m’est parfaitement inconnu qui plus est ! Je me sens lasse. Je ne suis pas morte. Je suis bel et bien en vie. Malheureusement. Cela aurait été tellement plus simple.
Je n’ai jamais été suicidaire. Il y a même une époque où j’adorais la vie, voire même où j’étais vraiment heureuse. Mais les années passant, tout s’était détérioré. Adam avait fini par tout me prendre : ma joie de vivre, mon innocence, mes rêves, mes désirs, ma réalité… tout. La mort finalement, ça n’aurait pas été si grave. Je n’aurai manqué à personne et moi, j’aurai pu me reposer enfin et surtout oublier. Mais ça aurait été trop simple, apparemment.
– Alors mon ange, t’es réveillée ?
Cette voix sortie de nulle part me fit sursauter. Mon cœur se mit à battre la chamade. J’essayais de relever la tête tant bien que mal pour apercevoir l’homme qui venait de me parler. La vision de l’Asiatique me revint à l’esprit. Ses mains autour de ma gorge. Je sentis la panique m’envahir. Ou alors était-ce Adam ? Je n’avais pas bien entendu sa voix. Je n’arrivais pas à savoir où il se trouvait. Cependant l’adrénaline qui parcourait mon corps me permit de prendre appui sur mes coudes et dans un ultime effort je réussis à me redresser pour apercevoir dans un coin sombre de la pièce la lueur d’une cigarette. Bizarrement, c’est seulement à ce moment là que mon cerveau intégra cette information : l’odeur de cigarette que je sentais pourtant depuis mon réveil. L’homme sortit à demi de l’ombre et lança une brique de jus d’orange sur le lit.
– Bois – dit-il – ça te fera du bien.
Je le reconnu tout de suite… James…
Mon corps se détendit aussitôt. Je soupirai de soulagement. J’avoue que je ne savais pas trop bien pourquoi d’ailleurs. Pourquoi sa présence me rassurait-elle ? Pourquoi lui faisais-je confiance ? Aucune idée. Peut-être parce qu’il m’avait dit qu’il était mon ange gardien ? Peut-être parce qu’il m’avait sortie des griffes de mon bourreau ?
– Bois, répéta-t-il – faut que tu reprennes des forces, on ne pourra pas rester ici indéfiniment.
Je m’exécutais docilement. D’ailleurs, je n’avais pas la force de lutter.
– Dans 24 heures, on met les voiles, tu as dormi près de 10 heures, j’espère que tu te sens mieux…
Je manquais de m’étrangler.
– 10 heures ! M’écriais-je.
– Ouais, l’autre sale con ne t’a pas loupée… Je vais aller te chercher à manger. Il faut que tu reprennes des forces.
Et il s’éclipsa.
La chambre dans laquelle je me trouvais était minuscule. De type « Formule 1 ». Le genre d’hôtel que choisissent les commerciaux qui passent leur vie sur la route. Propre et fonctionnelle. C’est vrai que c’était propre et avec le minimum nécessaire : Un lit double, une minuscule salle de bain avec douche et WC, même une tv. Je n’avais aucune idée de l’endroit où l’on pouvait se trouver. Ce que j’espérais avant tout, c’était être loin. Très loin de l’homme qui avait essayé de me tuer. Loin d’Adam aussi.
Adam. Les choses s’étaient déroulées si vite que je n’avais même pas eu le temps de réfléchir à cet étrange moment que l’on avait vécu ensemble. Machinalement, je portais la main à mon cou, là où se trouvait la nouvelle morsure qu’il m’avait infligée, non loin de la première qu’il m’avait déjà faite. Cette fois, elle était plus profonde, plus douloureuse. Elle ne s’effacerait pas… jamais. C’était du délire cette histoire. Un vampire. J’avais l’impression d’être dans un mauvais feuilleton. Je repensais à ce que j’avais failli faire. Que se serait-il passé, si j’avais bu son sang ? Que serais-je devenue ?
James pénétra dans la chambre et me tira de mes réflexions. Il revenait avec un festin digne d’un roi : 3 sandwichs : un au thon, un au poulet, l’autre au fromage, une bouteille d’eau, 3 litres de jus de fruits et enfin des barres chocolatées. Il déposa tout ça sur le lit et me dit :
– Mange.
Directif cet homme décidément ! C’était sans appel. Apparemment, je n’avais pas mon mot à dire. Je n’avais pas le choix. A vrai dire, je n’avais pas vraiment faim. J’étais surtout épuisée. Mais il était certain qu’il me fallait reprendre des forces alors je pris un sandwich au hasard et mordis dedans.
– Tu ne manges pas ? Lui demandais-je
– Non j’ai déjà mangé…
James avait l’air nerveux. Il avait le visage fermé et me regardais à peine. Fumant cigarette sur cigarette, il avait également un tic nerveux avec sa jambe qu’il n’arrêtait pas de faire gigoter.
– On est où ? Demandais-je
– A 400 km de chez toi. Près de l’autoroute. Fallait mettre de la distance entre eux et nous.
– Mais c’est qui eux ?
Apparemment, ce n’était pas la bonne question à poser. Je vis son visage se durcir encore plus, ses yeux s’assombrir. Sa mâchoire se crispa imperceptiblement et il me répondit durement :
– Tu le sauras bien assez tôt.
En fait, je commençais vraiment à en avoir marre de ces réponses évasives qu’on n’arrêtait pas de me balancer à longueur de temps. J’avais l’impression de faire partie d’un jeu dont j’étais la seule à ne pas connaître les règles. Je me sentais ballotée comme une vulgaire poupée de chiffon. On me mordait, on m’interrogeait, on essayait de me tuer et je ne savais même pas pourquoi ! La colère commençait à s’immiscer en moi, l’énergie que m’avait procuré le sandwich m’y aidant. James me regardait à peine, s’agitant tout seul dans son coin. Il m’énervait. Son comportement m’énervait vraiment. Cette façon qu’il semblait avoir de m’infantiliser. Je ne supportais pas. J’avais juste envie de lui sauter au cou et de lui ordonner de répondre à mes questions une bonne fois pour toute. Mais je pressentais que ça n’était pas la chose à faire. Je n’aurai aucune réponse. Pas maintenant en tout cas.
Une douche. Il me fallait une douche. La douche, à défaut d’une bonne dose de whisky, était la solution à beaucoup de problèmes. Grace au sandwich, j’avais repris un peu d’énergie et même si je n’étais pas vaillante, je pouvais me lever et faire quelques pas.
– Qu’est ce que tu fous ? me demanda James agacé
– Je vais prendre une douche, ça te pose un problème ?
Il ricana en secouant la tête. Ce type était vraiment bizarre. Je ne cherchais pas à comprendre sa réaction et me réfugiais dans la salle de bain. Lorsque je vis mon visage, j’eu très peur. Mon teint était si pâle, mes yeux cernés, mon maquillage ne ressemblait plus à rien. J’avais l’air d’être une mort-vivante. Ma réflexion me fit rire jaune. Décidément, j’avais l’impression de vivre un des films d’horreur que j’affectionnais tant dans ma jeunesse. Sauf que là, c’était la réalité … et que c’était tout simplement du délire. Autour de ma gorge, l’homme qui m’avait agressée avait laissé de jolies marques de doigts violacées. On y voyait aussi la marque de morsure que m’avait infligée Adam, encore sanguinolente. Oui, c’était vraiment du délire. Je secouais la tête pour m’enlever ces idées du crâne et commençais à me déshabiller tant bien que mal. Lorsque je réalisais d’un seul coup, qu’effectivement, j’étais habillée. Comment je pouvais être habillée ? Si j’étais en train de regarder un film et que je me voyais en vedette, je me serai fait cette même réflexion :
« Genre la fille, elle vient de se faire enlever alors qu’elle est à poil au lit avec son Jules et d’un seul coup, elle se retrouve habillée de la tête aux pieds … pff bonjour les raccords de merde ». Sauf que là je n’étais pas dans un film et… que j’étais habillée quand même.
Je sortis la tête par la porte et lança à James :
– Comment ça se fait que je suis habillée ?
Il me regarda éberlué.
– hein ?
– Oui, qui m’a habillée ?
Il ferma les yeux, secoua la tête de plus bel. Il avait l’air fatigué.
– Ptain Eve, t’as des putains d’enfoirés au cul qui essaie de te tuer et toi, la seule chose qui te préoccupe c’est de savoir qui t’as habillée ?
Je sentis la colère montée à nouveau et je m’écriais :
– Non, j’ai plein de questions en tête !!!! Plein de questions auxquelles tu ne veux pas répondre ! Alors oui, cette question peut paraître con, mais j’aimerais que tu y répondes ! Car au moins cette reponse là, elle me permettra de garder un pied dans la réalité !
J’étais rouge de colère. Je manquais de souffle.
James me regarda et sourit. Il avait plutôt un joli sourire. Il semblait moins dangereux. Ce n’était pas un sourire franc mais ses yeux bleus pétillaient de malice.
– C’est moi qui t’ai habillée… et il me dit ça comme s’il me lançait un défit, fier de lui. Si c’est le fait de t’avoir vu nue qui te pose un problème … je peux te dire que tu n’as aucun complexe à avoir …
Il m’exaspérait. Je lui claquais la porte au nez et l’entendis rire tandis que je pestais dans mon coin.
La douche fut salvatrice. J’étais heureuse de pouvoir me délasser sous l’eau chaude après tout ce que je venais d’endurer. Heureuse également de retirer l’odeur d’Adam de ma peau, l’odeur du sexe aussi. La douche m’aiderait peut-être à y voir plus clair dans mes sentiments et m’aiderait peut-être à comprendre pourquoi je m’étais laissé charmer si facilement par Adam.
Je me séchais rapidement et remis mes vêtements. Je n’avais pas de sous-vêtements et je détestais ça. Il faudrait que j’en trouve en route.
Lorsque je pénétrais à nouveau dans la chambre, j’y trouvais un James qui faisait les cent pas dans le peu d’espace que l’on avait. Il me lança :
– Moi aussi, j’ai une question … pendant que vous faisiez votre petite affaire là … t’as pensé à te protéger ?
Je prenais la question comme une baffe. Il me faisait quoi là ? J’avais l’impression d’entendre mon père.
– Pardon ?
– Ptain Eve, dis moi que tu prends la pilule … dis-moi que tu l’as obligé à foutre une putain de capote…
Je ne répondis pas.
Et là, il explosa littéralement de colère :
– Mais putain de bordel de merde ! À l’heure du SIDA ! À l’heure où on contrôle les naissances ! Tu baises avec un putain de vampire et tu ne te protèges même pas !!!!!! Mais putain Eve ! T’es inconsciente ou quoi ????
Et me montrant du doigt :
– T’es dans une putain de merde Eve ! Tu t’es foutue dans une putain de merde !!!!
Et il sortit fou de colère en claquant la porte …
Je restais figée sur place … sans comprendre ce qu’il venait de se passer. Finalement, je n’étais plus très sûre d’être en sécurité avec lui.
(À suivre…)